Il faut que ce soit la dernière !
C’est une catastrophe aujourd’hui. J’ai cumulé les crises de boulimie. Les vraies, bien importantes, celles où vous préparez vos aliments de crise à l’avance de manière incontrôlée, où vous vous installez, où vous sentez la nervosité venir puis s’estomper en avançant dans le gavage, celle où vous n’appréciez même pas le goût des aliments puisque vous les avalez tout rond, sans même leur laisser le temps de passer dans votre bouche…
C’est affreux. Il faut que cela s’arrête. Je veux que la crise de ce soir soit la dernière. Pour cela, j’ai besoin ici de la décrire, de l’écrire, un peu comme pour l’extérioriser, la matérialiser, l’exorciser, l’immortaliser même ! ! Je n’en peux plus, je n’en veux plus. Ce sera la dernière…
Ce soir, alors que j’avais déjà fait deux crises très conséquentes dans la journée, je mange mes endives cuites à l’eau. Puis je sens la nervosité qui précède une crise, arriver. Là encore, sans comprendre pourquoi. Pas d’événements particuliers, de stress ou d’angoisse. Rien. Mais je vois la crise arriver au loin comme une vague. Alors je me prépare à l’éviter, la repousser, passer au travers… Mais rien n’y fait, mes efforts sont vains. Je quitte la table et prends machinalement la boîte de fromage et la tablette de beurre. Ce ne sera qu’un début. Tel un robot programmé pour cela, je sors la grosse casserole du placard, la remplie d’eau pour la faire bouillir. Le paquet de coquillette est prêt à cuire ! Je finis d’avaler tout rond mon fromage avec mon pain de mie beurré, plusieurs tranches. Je trempe de temps en temps dans l’eau pour me faciliter ensuite la tâche ! Les pâtes ne sont pas cuites, alors je sors un paquet de « picorettes » au chocolat. Mon p’tit loulou de 3 ans qui regardait sa télé dans la pièce du haut entend le bruit du sachet. Il descend et me demande « tu manges quoi maman ? Des bonbons ? J’en veux moi aussi ». Prise dans la crise et dans la nervosité de celle-ci, je lui en donne deux et lui demande d’un ton sec, de remonter regarder sa télé, et de me laisser tranquille. Lamentable, vraiment. Il faudra que je relise ce passage plusieurs fois, pour me persuader que je suis pitoyable et que ce que je fais est inadmissible. Je prends ensuite le paquet de brioches. Deux avec du beurre vont être engloutie. La casserole de pâtes sera avalée en rien de temps (entière soit 500g). Aucune des coquillettes ne sera mâchée. On jurerait une oie que l’on est en train de gaver avec un entonnoir. C’est ignoble. Je sens des pâtes dans le larynx, qui ne peuvent descendre car je suppose que mon estomac est plein. Ca fait l’effet d’un anneau gastrique ! ! Et pourtant, les symptômes de la crise, du « manque », ne sont pas encore passés. Une danette chocolatée, deux gâteaux, le reste de rôti en sauce, un croissant aux pommes. Pour finir, la bombe de chantilly. Enfin… je suis remplie, à bloc. La crise s’estompe, je ne tremble plus, la nervosité laisse place à l’accablement. Je n’ai même pas le temps de ranger ou faire ma vaisselle, il faut que je fonce aux toilettes. Mon estomac va lâcher, c’est sur ! J’ai tellement mal, c’est affreux. Je me tors de douleur dans les deux escaliers qu’il faut monter pour atteindre la salle de bains. Immonde, désolant… Je passerais ¾ d’heure au dessus de la super cuvette des WC, à essayer toutes mes méthodes connues pour me vider complètement. Faire en sorte que tout remonte. Comme à chaque crise, je n’y parviendrais pas. Il m’est impossible de tout vomir…
Me voici vidée, cette fois-ci dans le sens où je suis fatiguée. J’ai honte, comme chaque fois, je me déteste, je me hais, je hais cette maladie. Je me repasse le film de la crise plusieurs fois dans la tête en me disant que ce n’est pas possible, que ce n’est pas moi. Que je n’ai pas pu avaler tout cela. Je m’entends aussi demander à mon p’tit bout de partir. Comment peut-il comprendre le pauvre ? Sa maman est lamentable. Je redescends faire le triste constat des papiers de brioches vides dans l’évier, de la passoire, de la plaquette de beurre sortie qui en a pris encore un sacré tout. Je réalise une fois de plus tout ce que j’ai avalé. C’est odieux. Cela me donne envie de vomir ! Encore ! Je ne cesse de me répéter que cela ne peut plus se reproduire. C’est la dernière fois. Oui, la dernière.
Affligeant ! On dirait un alcoolique qui jure que demain, il ne touchera pas un verre !
Mais si, c’est vrai, je ne veux plus de crise, plus de boulimie. Il le faut, car je comprends maintenant pourquoi certaines personnes se donnent la mort quand elles souffrent de ces troubles. C’est trop dur psychologiquement à supporter. Vous n’êtes plus rien, qu’une loque qui ne vit que pour la nourriture, et la revomir ensuite. Je ne veux pas de cette vie là.
Je veux vivre avec mon mari et mes enfants comme avant, simplement mais normalement. Ou ne plus vivre sinon. Je ne veux plus de ces orgies qui me répugnent et me détruisent. Plus de crises.